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31 mars 2022

Edwy Plenel et la politique en France Publié le 31 Mars 2022

Chroniques critiques

Zones subversives

 
Edwy Plenel et la politique en France

Publié le 31 Mars 2022

Edwy Plenel et la politique en France
Le directeur de Mediapart est devenu une figure médiatique incontournable. Ses éditoriaux permettent d'observer les évolutions de la politique en France, avec les reniements de la gauche et le durcissement autoritaire du pouvoir. Si les partis tombent en déliquescence, un renouveau des mouvements sociaux ouvre des perspectives. 

 

La France bascule progressivement dans une démocratie autoritaire rythmée par des débats sur les questions identitaires. Cette dérive commence sous la présidence de Nicolas Sarkozy en 2007. Mais elle se poursuit sous le règne de François Hollande puis d’Emmanuel Macron. La classe dirigeante ne cesse de défendre ses intérêts minoritaires, à travers la répression des mouvements sociaux et la désignation de boucs émissaires comme diversion.

La gauche se retrouve confrontée à une crise morale, politique et intellectuelle. Mais ce n’est pas la première. La gauche s’est souvent effondrée dans des moments historiques décisifs. La Commune de Paris, l’affaire Dreyfus, la montée du fascisme, les luttes de décolonisation et pour l’indépendance de l’Algérie sont autant d’épisodes durant lesquels la gauche se divise. Le journaliste Edwy Plenel propose son regard sur les évolutions de ce camp politique dans le livre A gauche de l’impossible.

 

La situation semble catastrophique. Mais il semble important d’y faire face. Le désastre climatique, la crise sanitaire, les politiques sécuritaires, les discriminations et les inégalités sociales doivent être affrontés. « La réponse ne viendra pas d’en haut, d’avant-gardes autoproclamées, d’experts prétendus ou de gouvernements discrédités », souligne Edwy Plenel. Ce sont les mouvements sociaux qui permettent d’affronter les problèmes décisifs. Les Gilets jaunes, les luttes antiracistes, les mouvements écologistes et féministes ouvrent de nouvelles perspectives.

Mais la gauche se contente de gérer le pouvoir et semble s’éloigner du bouillonnement des luttes sociales. « Si la gauche politique est aujourd’hui bien en peine, fragile, minoritaire et divisée, c’est parce que, depuis les années 1980, elle s’est détachée de la société qui la légitimait pour s’identifier à l’Etat dont elle revendique la gestion », analyse Edwy Plenel. La conquête du pouvoir prime sur la défense de la société face aux abus de pouvoir. La gauche semble épouser la culture politique dominante avec la verticalité du pouvoir, le césarisme présidentiel, le rejet du pluralisme et le mépris des mouvements sociaux.

 

                         

 

 

Faillite de la gauche

 

Dans « Alternance électorale ou alternative démocratique », publié le 9 mars 2012, l’éditorialiste de Mediapart dresse le bilan désastreux de la présidence Sarkozy. Le sortant mène une campagne sur les thèmes privilégiés de l’extrême-droite pour dépouiller Marine Le Pen d’une partie de ses votes dès le premier tour. Après 17 ans de règne de la droite, l’alternance devient indispensable. Le directeur de Mediapart appelle à un rassemblement des voix derrière François Hollande, considéré comme le principal candidat de la gauche. « Car il importe que la défaite du "candidat sortant" soit massive, cinglante et humiliante, dans la dynamique née du rassemblement des forces d’opposition à l’issue du premier tour », se justifie Edwy Plenel.

La présidence Sarkozy incarne un tournant avec l’adoption d’un discours de la droite extrême qui valorise la patrie. Le racisme permet la stabilité de l’ordre capitaliste à travers des divisions qui opposent les classes populaires. « Quand, au lieu de se retrouver autour de ce qu’ils ont en commun (l’entreprise et l’habitat, les questions sociales, les conditions de vie), les dominés se font la guerre au nom de leurs identités, croyances et origines, les dominants ont la paix », souligne Edwy Plenel. La stigmatisation de la population musulmane joue ce rôle de division.

« L’alarme, du 21 avril 2002 au 22 avril 2012 » est publié après les résultats du premier tour des présidentielles. Si le candidat de gauche arrive en tête face au sortant, l’extrême-droite semble progresser, notamment au sein d’un électorat ouvrier. De plus, le succès de la gauche s’observe dans un contexte de crise de la démocratie représentative. « De scrutin en scrutin, un système politique épuisé ne cesse de mettre en scène le fossé qui se creuse entre le peuple et ses représentants professionnels, entre la masse des citoyens et les politiques de métiers, entre le pays et ses élites », analyse Edwy Plenel. La colère peut alors s’orienter vers des aventures autoritaires. Surtout dans le contexte français avec ses institutions et sa culture bonapartiste.

 

Dans « Maintenant ou jamais, François Hollande », Edwy Plenel dresse les louanges du nouveau président. L’homme de parti, de synthèse et de consensus incarne une sensibilité démocratique, «  en prenant peut-être mes désirs pour des réalités », nuance le directeur de Mediapart. Mais la logique du présidentialisme assombrit les belles promesses démocratiques. Les institutions confèrent un pouvoir absolu au chef de l’Etat.

« Un abîme est là, tout près de nous… », publié le 25 février 2013, dresse le bilan implacable du retour de la gauche au pouvoir. Le gouvernement ignore le tragique de l’Histoire pour se conformer à une logique comptable. La gauche ne cesse de multiplier les renoncements et se plie aux contraintes économiques imposées par la logique néolibérale. La gauche se moule dans les institutions, se confond avec l’Etat et s’éloigne de la société.

« Or, loin d’être neutre, au-dessus des classes et des partis, cet Etat, en ses sommets, est plus que jamais sous la pression ou sous la dépendance d’intérêts oligarchiques, au croisement de l’avoir et du pouvoir, de l’argent et de la politique, de la finance et de l’administration », souligne Edwy Plenel. La haute bourgeoisie d’Etat passe du public au privé. Les conflits d’intérêts traversent une administration figée dans le dogme de l’austérité budgétaire.

 

    Emmanuel Macron rencontre des policiers lors d’une visite sur le thème de la sécurité, à Lyon, le 28 septembre 2017.

 

Durcissement autoritaire du pouvoir

 

« La démocratie n’est pas la guerre » est publié le 20 novembre 2015, peu après les attentats terroristes. Le gouvernement impose un état d’urgence et des mesures sécuritaires. Les attentats du 11 septembre 2001 à New York ont provoqué également une politique guerrière désastreuse. Le Patriot Act renforce le contrôle de l’Etat sur la population. Ensuite, le gouvernement américain se lance dans la guerre en Irak en 2003. C’est cette campagne militaire désastreuse, avec un demi-million de morts, qui permet le développement de Daesh.

« Des ripostes qui, par agendas idéologiques ou tactiques, profitent des peurs pour des visées de politique intérieure, de popularité immédiate ou d’habileté politicienne, peuvent être lourdes de désastres à terme », déplore Edwy Plenel. En France, le gouvernement de gauche applique le programme de la droite autoritaire. L’état d’urgence permet d’interdire et de réprimer les manifestations, comme les marches écologistes de la COP 21.

« Le poison du pouvoir personnel », publié le 26 janvier 2014, dresse un premier bilan de la présidence Hollande. Le gouvernement de gauche mène une politique néolibérale au service du patronat. « François Hollande a choisi ce chemin d’une politique de l’offre qui se traduit par des cadeaux copieux aux entreprises plutôt que par une relance du pouvoir d’achat des salariés », observe Edwy Plenel. Ensuite, François Hollande se moule dans le présidentialisme des institutions. Il décide seul, sans consulter un parlement dévitalisé.

 

« La part d’ombre d’Emmanuel Macron » est publiée le 20 juillet 2018. Alexandre Benalla et son comparse Vincent Crase, collaborateurs du président de la République, ont tabassé des jeunes manifestants le 1er mai 2018. Ils ont ensuite été couverts et protégés par l’Etat. Ce qui rappelle l’époque des barbouzes du SAC dans le contexte des années 1968. L’affaire Benalla révèle la dérive d’un pouvoir sans partage du chef de l’Etat. « Car, dès que le pouvoir se veut personnel, la basse police est à son affaire. Protégeant ses secrets, où souvent se mélangent intérêt public et vie privée, elle impose sa propre loi qui, au prétexte de la raison d’Etat, échappe à la loi », analyse Edwy Plenel.

 « Covid, l’étrange défaite du macronisme » est publié le 4 mai 2020. Face à la crise sanitaire, le président décide seul et impose des mesures autoritaires. Sa posture masque mal l’impréparation et la faillite de son gouvernement. L’élite auto-proclamée ne cesse de mépriser son peuple, à coups d’infantilisation et de répression. La logique comptable débouche vers la destruction des stocks de masques et vers la fermeture de lits d’hôpitaux.

 

      Manifestation contre l’islamophobie à Paris, le 10 novembre 2019.

 

Politique et société

 

« Les intermittants pour nos biens communs » est publié le 10 juin 2014. Il évoque la lutte contre la réforme de l’assurance chômage. La Coordination des intermittents et précaires (CIP) développe des propositions pour protéger les travailleurs dans un contexte de flexibilisation de l’emploi. « Ceux qui dirigent (l’Etat), ceux qui possèdent (le patronat), ceux qui représentent (en l’espèce les syndicats) ne sauraient ignorer les réflexions et les propositions de ceux qui vivent les réalités dont ils débattent », lance Edwy Plenel.

« "Grand remplacement", idéologie meurtrière » est publié le 4 janvier 2015. Le polémiste Eric Zemmour diffuse une propagande raciste dans les médias dominants. Il propose notamment de déporter des millions de personnes d’origines immigrées pour les expulser du territoire français. Eric Zemmour contribue également à populariser la propagande du « Grand remplacement ». Cette idéologie inventée par l’écrivain Renaud Camus considère que les musulmans vont progressivement devenir majoritaires dans la population française. Alain de Benoist et la Nouvelle Droite sont parvenus à recycler l’idéologie fasciste à travers la critique du métissage et du multiculturalisme.

 

« Pour éviter le pire, parier sur la société » est publié le 19 mai 2019. Un durcissement autoritaire du régime peut s’observer à travers la répression face au mouvement des Gilets jaunes. Propagande, manipulations grossières et débat national accompagnent les violences policières. Le président Macron n’a fait que renforcer et légitimer le parti nationaliste comme seul adversaire. « Sa faute, engageant sa responsabilité historique face aux périls qui menacent, aura été de se défier de sa propre société, au point de la mépriser, de la réprimer et de la congédier », déplore Edwy Plenel.

Le mouvement des Gilets jaunes attaque directement les flux de l’économie marchande. Les actions sur les routes permettent également de se rassembler au-delà du cadre de l’entreprise et du salariat. Surtout, le mouvement reste en prise avec les problèmes de la vie quotidienne. « Le ressort premier de l’engagement n’est plus une promesse abstraite d’un avenir meilleur, mais la réalité concrète d’un vécu insupportable », observe Edwy Plenel.

 

Omar Slaouti : «<small class="fine d-inline"> </small>La convergence des luttes se construit sur le terrain<small class="fine d-inline"> </small>»

 

Citoyennisme de MJC

 

Edwy Plenel est parvenu à imposer une autre voix dans le paysage médiatique français. Avec le magazine Politis ou encore la revue Regards, il imprime une tonalité singulière et indispensable face au déferlement médiatique raciste et réactionnaire. Edwy Plenel incarne son journal et s’en nourrit. Il s’est imposé comme une figure médiatique incontournable qui n’hésite pas à s’opposer à des journalistes réactionnaires. Ses éditoriaux expriment un point de vue, mais s'appuient également sur les enquêtes fouillées de la rédaction de Mediapart. Ils témoignent de l’évolution de la gauche et de la vie politique française.

En revanche, plusieurs aspects de ces articles peuvent être critiqués. Edwy Plenel a eu l'honnêteté de ne pas remanier ses textes. Mais il cultive une forme de naïveté politique permanente qui peut se révéler un peu agaçante. Son soutien à François Hollande puis à Emmanuel Macron peuvent lui être reproché. L’éditorialiste s’en remet davantage aux déclarations et aux promesses des candidats, plutôt qu’à leurs actes et à leur bilan politique déjà accablant. C’est sans doute son côté trotskiste qui se focalise sur les textes et la théorie plutôt que sur les pratiques politiques réelles. Mais Edwy Plenel tente de sortir de cette focalisation sur les institutions, à travers sa critique du présidentialisme et son soutien aux mouvements qui traversent la société.

 

Ensuite, Edwy Plenel s’acharne à reprendre tous les poncifs de l’illusion citoyenniste. Le patron de presse adopte une posture morale qui diffère d’un point de vue de classe sur le monde. En ce sens, il s’inscrit dans la filiation de la plupart des intellectuels de gauche. Ce n’est pas le patronat et la bourgeoisie qui sont remis en cause, mais uniquement « l’oligarchie ». Il ne veut pas abolir le capitalisme et l’exploitation, mais uniquement redistribuer les richesses à travers une réforme fiscale. Il pointe les dérives autoritaires de la démocratie représentative, mais sans jamais remettre en cause l'État et les institutions. Il propose une « conversation, entre le peuple et ses représentants », plutôt qu’une abolition des hiérarchies et des institutions.

Edwy Plenel se démarque par son antiracisme. Ce discours reste clair et indispensable au milieu du déferlement réactionnaire dans les médias. Mais Edwy Plenel illustre également les limites de l’évolution de l’antiracisme. Tout comme Lilian Thuram, cité en référence, il semble évoluer d’une dénonciation morale un peu creuse incarnée par SOS Racisme vers une gauche décoloniale et intersectionnelle. Même si Edwy Plenel conserve encore de beaux restes, comme ses références à Albert Camus le grand défenseur de l’Algérie française. Cette évolution est sans doute positive dans l’écoute de la parole des personnes qui subissent directement le racisme. Le côté paternalisme semble un peu gommé.

Néanmoins, Edwy Plenel reprend deux écueils majeurs de cette mouvance. D’une part, la critique de la religion et de ses aspects réactionnaires est occultée. D’autre part, ce nouvel antiracisme moral continue de nier les clivages de classe. Pourtant, c’est moins dans le débat intellectuel que dans les luttes sociales qu’il semble possible de faire reculer l’idéologie raciste. Edwy Plenel peut évoquer cette dimension quand il souligne que les gouvernements utilisent le racisme pour diviser la population. Mais il semble important d’insister sur les luttes de quartiers, sur les grève de sans papiers, mais aussi sur les mouvements de révolte globale comme les Gilets jaunes comme seules démarches pour poser les problèmes d’un point de vue de classe.

 

Source : Edwy Plenel, A gauche de l’impossible, La Découverte, 2021

 

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Que devrait-faire la gauche ? Edwy Plenel, émission diffusée sur Mediapart le 22 septembre 2021

Vidéo : Edwy Plenel convoqué au Poste, émission diffusée sur Blast le 15 juin 2021

Vidéo : Pablo Vivien-Pillaud, « La gauche a baissé la garde face à la saloperie raciste, suprématiste, ségrégationniste et sexiste », émission diffusée sur le site de la revue Regards le 24 septembre 2021

Vidéo : Pierre Jacquemain, Gauche : les alliances nécessaires pour un bloc majoritaire et populaire, débat diffusé sur le site de la revue Regards le 27 septembre 2021

Vidéo : Plenel : la gauche peut-elle encore gagner ?, émission diffusée sur BFM TV le 20 septembre 2021

Vidéo : Bixente Vrignon, Edwy Plenel à Bayonne souligne le rôle d'Alternatiba pour unir les gilets jaunes et les écologistes, émission diffusée sur France Bleu le 5 novembre 2021

Vidéo : Edwy Plenel : A gauche de l'impossible, la catastrophe en marche, conférence diffusée par La Carmagnole le 5 octobre 2021

Vidéo : Manuel Cervera-Marzal, Où va la France ? Edwy Plenel, émission diffusée sur le site Hors série le 2 octobre 2021

 

Articles d'Edwy Plenel publiés sur le site de Mediapart

Articles d'Edwy Plenel publiés dans Le Club de Mediapart

Articles d'Edwy Plenel publiés sur le site Presse toi à gauche !

Jean-Marie Durand & Serge Kaganski, Edwy Plenel : « L’islamophobie s’est banalisée », publié sur le site du magazine Les Inrockuptibles le 1er octobre 2014

Sophie des Déserts, Edwy Plenel, enquête sur l'enquêteur, publié dans le magazine Vanity Fair le 24 janvier 2018

Hugues Serraf, La gauche ne sortira pas indemne de la guerre Mediapart-Charlie Hebdo, publié sur le site Slate le 15 novembre 2017

La Rédaction, Edwy Plenel  : « Sommes-nous censés être Charlie à la manière de Manuel Valls ? », publié sur le site du magazine Siné Mensuel de juin 2015

Emler, Les valeurs perdues d'Edwy Plenel, publié dans Le Club de Mediapart le 20 octobre 2018

Publié dans #Pensée critique

 
 
     
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