Par Camille Loty Malebranche

L’une des expressions des plus présentes et somme toute des plus interpellantes du nouveau testament, est sans doute cette métaphore anthropomorphique de la déité en rapport à l’homme qu’est le vocable “Royaume de Dieu” prononcée par le Christ qui n’a pas cessé de nommer ainsi la fin dernière du croyant tout au long de son ministère sotériologique, son Évangile de la rédemption. Il s’agit pour le Christ enseignant de faire sentir quoique en faible part aux hommes, la vérité du pouvoir cosmique, l’omnipotence du statut suprême et absolu de Dieu en évoquant le pouvoir absolu des monarques de son temps sur leurs royaumes. Le royaume divin est à tous ceux qui croient et acceptent le salut divin en lui, le Christ, le Verbe incarné, précisait Jésus. Le royaume de Dieu est donc un concept majeur de la métaphysique spiritualiste eschatologique chrétienne, du règne de Dieu au ciel et ici-bas en l’homme de foi, signe inéluctable de la proximité paternelle de Dieu avec l’homme croyant.

De la vocation au destin, nuance sémique du royaume de Dieu.

Si le royaume de Dieu est l’eschaton céleste souvent promis par Jésus à tout croyant digne de la foi vraiment spirituelle et non formelle; Jésus qui, souvent, rappelle à l’homme que la conversion est la condition sine qua non pour entrer dans ledit royaume, la déclaration que le même Jésus a faite aux juifs lorsqu’il proclame que « le royaume de Dieu est en vous » peut paraître déroutante. « Le royaume de Dieu est en vous » est une allégorie façonnée par le Christ enseignant pour dire à l’être humain que dans son intuition, si jamais il y prend garde, il éprouvera cette part de la déité en sa propre intériorité humaine individuelle, pour lui rappeler qu’il n’est pas que terrestre, qu’il est un esprit de destin céleste et que sa vocation est de transformer ce céleste destin espéciel en destinée personnelle. 

Ainsi, du vocationnel propre au destin de l’espèce à l’accomplissement qui en fait destinée personnelle par la foi, le Christ nous dit notre appartenance à Dieu dont nous venons et à l’image de qui nous sommes faits, en tant qu’esprit quoique incarné dans la poussière et l’éphémère. Car au sens absolu, tout ce qui n’est pas éternel, quelque longue qu’en soit la durée, est fini et éphémère…

Aspect duel : terrestre et céleste du Royaume divin.

Le royaume de Dieu, s’il est céleste et transcendant comme Dieu lui-même se réfère parfois au « terrestre » qui n’est autre que l’être du croyant consacré et sanctifié par la puissance suprême de l’Esprit de Dieu en lui. C’est encore par analogie de règne que Jésus parle de Royaume de Dieu ici-bas pour le croyant puisque pour celui qui, ici-bas, croit, Dieu est le Roi absolu et unique à qui seul il obéit. L’homme de Dieu vit par anticipation le royaume céleste, se considérant  voyageur missionnaire loin de la patrie permanente à venir, se sachant dans le monde et non du monde mais du « ciel », ce lieu divin ainsi nommé pour en marquer la haute transcendance supraterrestre, inimaginable, ce « saint des saints », où Dieu vit dans sa sphère divine parmi les plus puissants esprits qui puissent exister et qu’il s’est créés pour sa gloire.

Pour l'être humain, lui aussi créé esprit pour la gloire de Dieu, le royaume de Dieu commence, comme nous l’avons dit, par l’intuition, en tant que connaissance infuse de la déité en nous, puis se poursuit par la révélation comme connaissance acquise et se parachève par la foi-réponse où l’homme connaît Dieu en ses tréfonds et se met à vivre selon l'expression de cette cognition, cette gnose inexprimable qu'il a intégrée.

Pour atteindre le stade eschatologique céleste, le royaume de Dieu doit déjà être perçu, reçu et vécu au niveau terrestre pour quiconque espère voir Dieu un jour au bout de la morne grisaille de cette dimension matérielle et de finitude où tout ne fait que passer. L’acharnement du bien, l’insistance de la justice comme part de la persévérance pugnace et indomptable de la foi forment le tremplin spirituel et moral vers le royaume céleste pour tout humain se reconnaissant esprit et qui s’assume tel.

Royaume de Dieu et élection réciproque.

Pour bien appréhender le sens et la portée du vocable de royaume de Dieu, il est essentiel de se rappeler qu'il y est question d'élection spirituelle. L'homme qui croit est un élu de Dieu ayant lui-même élu Dieu comme Père de son être, qui l'a appelé à être membre de sa famille purement spirituelle. L'élection divine qui choisit d'intégrer l'homme dans la plénitude de la parenté et de la parentalité divine ne pourrait être sans l'élection humaine qui choisit de dire oui en toute volonté et suprématie métaphysique, à Dieu qu'il intronise par la foi comme souverain maître de son être. C'est sans conteste l'acte le plus fini, le plus sublime de la liberté où le choix volontaire, ce sommet de la liberté mise en acte, proclame sa décision pour l’Infini. Ici, la foi, la confiance absolue en l'amour divin et la pleine compréhension du sens de soi, porte l'homme imprégné de la clarté divine sans ombre de se découvrir pleinement une part de Dieu par son essence spirituelle et sa vocation de vivre dans le royaume de son Père. Royaume terrestre en perspective du royaume céleste où face à face dans la contemplation de son Créateur, la créature humaine devenue fils par adoption divine grâce aux mérites de Jésus, pourra voir le visage ineffable de Dieu, Maître de tout ce qui est, Démiurge des univers tangible et intangible, matériel et immatériel; Souverain Décideur de tout, Unique Détenteur du Vrai pouvoir, qui domine et fait ce qu'il veut de tous les univers et de tous les êtres selon son bon plaisir, mais qui, néanmoins agit toujours par Amour envers les hommes de foi, ses enfants.    

Le royaume divin est une culture de l'esprit.

Être porteur du royaume de Dieu, c'est cultiver le primat de l'esprit malgré toute la puissance pulsionnelle de la chair et les appels tentateurs du monde. Car le royaume de Dieu, s’il n'est le domaine des saints par l'impeccable, exige néanmoins la culture du bien par le persévérant attachement de l’homme à Dieu, culture de la victoire par la foi, où le seul combat assidu, la seule passion acharnée permanente est de se tenir fixé en conscience sur Dieu, et donc de toujours se relever par la foi pour se refixer sur Dieu encore et encore lorsque par faiblesse, le croyant s’est égaré à prêter son attention à quelque tentateur extérieur ou faille intérieure qu’il porte!

Le Royaume de Dieu, plus précieux et plus fascinant que tous les apparats d’ici-bas, est l’extase espécielle promise, cette chose si épatante, si éblouissante que le chrétien y consacre tous ses dons et richesses ontologiques : ses talents et propriétés spirituels, intellectuels et somatiques par apprêt de soi pour en être digne. Car ainsi que le rappelle Jésus, le Royaume céleste de Dieu (Royaume des cieux) est cette perle si unique et hors de prix, que le marchand de pierres précieuses, gemmologue finement connaisseur, l’ayant découverte, est allé vendre tous les joyaux de son commerce, toutes ses possessions thésaurisées, tous les trésors de son patrimoine, toutes ses économies de vendeur devenues dérisoires à ses yeux, pour l’acquérir elle et elle seule.

L'homme de foi, tel un aigle volant vers l'horizon de son accomplissement, se sait invincible dans cette conquête que le Christ mort et ressuscité, a parachevé, lui qui nous dit, « j'ai vaincu le monde ». Voilà pourquoi, vainqueur assuré, le chrétien court à l'appropriation du soi intérieur où il s'efforce d'assumer sa déité ici-bas en vivant dans les limites du possible terrestre, les normes du céleste. 

CAMILLE LOTY MALEBRANCHE

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