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29 juillet 2022

Chroniques critiques Zones subversives - La littérature des barricades au XIXe siècle Publié le 28 Juillet 2022

Chroniques critiques

Zones subversives

 

La littérature des barricades au XIXe siècle

Publié le 28 Juillet 2022Les Misérables (2012)

Les Misérables (2012)

Les romans historiques du XIXe siècle s'emparent de l'héroïsme des barricades pour raviver le goût de la révolte. Les journaux anarchistes de cette période visent à glorifier les insurrections passées pour mieux annoncer les révolutions à venir.

 

Plusieurs soulèvements insurrectionnels secouent le XIXe siècle en France. Au même moment, une littérature populaire se développe. Des feuilletons publiés dans les journaux se penchent sur des récits historiques ou sur des moments plus contemporains.

Proudhon apparaît comme un philosophe, un journaliste, un agitateur et un révolutionnaire. Il voyage à travers le monde et exerce une influence importante sur la vie politique de son époque. Cet autodidacte développe une réflexion en marge des institutions scolaires. Il participe au développement du « socialisme », un courant alors traversé par une diversité politique, à partir des années 1840. Il reste connu pour ses polémiques avec Karl Marx.

Issu d’un milieu paysan, proche des petits artisans, Proudhon développe un anarchisme qui apparaît comme une transition entre l’idéalisme et l’engagement social de Bakounine. Il critique l’autorité sous toutes ses formes, en dehors du patriarcat. Surtout, il remet en cause la propriété économique. Il valorise les expériences mutualistes comme la Banque du peuple. Il théorise également le fédéralisme, contre le centralisme.

 

Mais Proudhon apparaît également comme le contemporain du développement du roman au milieu du XIXe siècle. Les écrivains romantiques s’opposent aux débuts du réalisme. Cette période se traduit surtout par le développement rapide du roman-feuilleton. Le récit historique connaît particulièrement un succès populaire. De plus, des écrivains jouent un rôle politique central, à l’image de Lamartine, Hugo, Dumas ou Sue.

L’activité philosophique et politique de Proudhon s’accompagne d’une carrière de journaliste. Ses articles évoquent évidemment les événements politiques de son époque. Mais il se penche également sur les écrivains et artistes contemporains. Le socialisme passe par la formulation d’une politique culturelle. Les journaux de Proudhon proposent une réflexion théorique sur les prises de positions des écrivains, mais aussi des créations littéraires originales. Vittorio Frigerio se penche sur ces divers aspects dans son livre Nous nous reverrons aux barricades.

 

                   ActuaLitté

 

Débat sur le roman historique

 

Le courant socialiste ne vise pas à glorifier le travail intellectuel par rapport au travail manuel. Pire, il se méfie de figures plus sensibles aux attraits du pouvoir que les ouvriers et les paysans. Proudhon considère les artistes comme de simples artisans. « L’artiste est un producteur parmi d’autres ne méritant ni plus ni moins d’égards ou d’admiration (dans le meilleur des cas) que n’importe quel autre travailleur, quel que soit le domaine dans lequel il exerce son activité », observe Vittorio Frigerio. Proudhon semble même préférer l’humble artisan à l’artiste qui a tendance à surestimer sa valeur. Il se méfie particulièrement du romantisme qui devient dominant dans les cercles de pouvoir. Il attaque la littérature mercantile incarnée par Victor Hugo et Alexandre Dumas. Ces romans commerciaux lui paraissent futiles.

Proudhon condamne également l’Art pour l’Art, qui apparaît comme un jeu stérile destiné à des esthètes désœuvrés. Pour le théoricien anarchiste, l’idéal éthique doit primer sur l’esthétique. En revanche, il estime que le réalisme de Balzac permet de diffuser une critique de l’ordre social. Mais les journaux de Proudhon proposent surtout une littérature au service d’une idéologie et d’une morale politique. « Le contenu primera alors naturellement sur la forme et pour être bonne, la littérature se devra avant tout d’offrir à ses lecteurs des leçons, agréablement mais clairement écrites, et des sujets de réflexion constructive », décrit Vittorio Frigerio.

Le journal Le Peuple ne cesse d’attaquer les romans feuilletons. Ces récits semblent défendre la morale, la propriété, la famille et la religion. Alexandre Dumas apparaît comme une cible de choix. Il est fustigé comme un soutien du régime de Louis-Philippe. Il incarne également la littérature industrielle avec ses romans formatés et standardisés. Mais Le Peuple considère que la littérature doit accompagner les idées socialistes et défendre les principes démocratiques. Le roman permet de diffuser des idées pas uniquement par la persuasion et la raison, mais aussi par la passion et les sentiments.

 

Le Peuple publie plusieurs feuilletons qui se penchent sur l’histoire. Même si le journal socialiste préfère se tourner vers l’avenir. Le roman-feuilleton de A.C. Blouet revient sur l’insurrection de 1832 qui finit par échouer. Cette série est intitulée Le Mont Saint-Michel, du lieu où sont emprisonnés certains partisans de l’insurrection. La barricade de Saint-Merry découle des 5 et 6 juin 1832.

L’enterrement du général Lamarque, soldat de l’armée républicaine et général de Napoléon, regroupe tous les opposants à Louis-Philippe. Mais cette révolte spontanée ne semble pas s’orienter vers des objectifs politiques communs. Elle regroupe des bonapartistes et des républicains qui s’opposent au même régime mais ne proposent pas les mêmes perspectives. Néanmoins, la résistance héroïque des insurgés au cloître de Saint-Merry frappe les imaginaires.

L’historien Thomas Bouchet estime que la révolution de février 1848 réactive la mémoire de la barricade de Saint-Merry. L’insurrection de 1832 semble annoncer la victoire de 1848. Le roman Le Mont Saint-Michel revient sur la révolte de 1832 et poursuit la narration jusqu’au soulèvement de 1848. Le récit permet de retracer des épisodes historiques, mais aussi de captiver le public à travers les péripéties passionnantes des personnages. Le roman historique fourmille de détails, comme pour affirmer son authenticité.

 

                  Image

 

Insurrection de 1832

 

Plusieurs écrivains mettent en scène la barricade de Saint-Merry. La littérature s’empare de ces événements qui deviennent mythiques. Des romans évoquent la figure charismatique et populaire du général Lamarque dont l’enterrement déclenche l’insurrection. Des écrivains reviennent que le défilé de cette célébration pour décrire l’événement déclencheur de la révolte. Rey-Dussueil insiste sur la thèse de la provocation policière préparée en amont.

D’autres récits évoquent la police qui tire sur la foule dès qu’elle aperçoit un drapeau rouge. « C’était le souvenir de 93 qu’on faisait revivre aux yeux de la bourgeoisie. L’indignation fut grande, surtout chez les républicains, dont cette apparition effrayante tendait à calomnier les doctrines », précise Louis Blanc. Il décrit également un homme en noir qui brandit le drapeau. Cet homme s’apparente à un symbole plutôt qu’à un individu, comme un cavalier de l’apocalypse qui brandit le spectre de la lutte des classes. Dumas évoque un homme vêtu de noir, grand, mince, pale, qui brandit un drapeau rouge sang. Cet inconnu reste mystérieux. Le procès des insurgés estime que des anarchistes se sont mêlés au cortège.

Dumas décrit des insurgés fiers de mourir sur les barricades. Ils brandissent des drapeaux rouges et crient « Vive la liberté ». La scène décrite par le romancier semble presque théâtrale. Les insurgés semblent adopter le même panache et le même sens du sacrifice que les mousquetaires. Hugo décrit également les drapeaux rouges qui flottent sur les barricades. « Le drapeau est la première victime de l’assaut de l’armée. C’est sur lui que se concentre le feu de la toute première décharge qu’on tire sur la barricade, comme si de l’abattre devait assumer une précieuse valeur de présage », indique Vittorio Frigerio. Mais chez Hugo, contrairement au récit de Dumas, les insurgés ne sont pas prêts à se sacrifier pour un symbole. Le contexte historique évolue et le drapeau rouge passe de la honte à la dignité.

 

Dumas s’enthousiasme pour l’insurrection de 1832. Les « Trois glorieuses » apparaissent comme une révolution romantique qui prépare le terrain à la révolution politique. Mais Dumas adopte progressivement une posture plus modérée qui s’éloigne du républicanisme révolutionnaire. Il s’oppose même à l’insurrection de 1848. Il fustige les mouvances socialistes au cours de sa campagne électorale dans l’Yonne. Il dénonce notamment Proudhon et sa critique de la propriété.

Dans le roman de Blouet, au contraire, l’insurrection de 1832 s’inscrit dans le même fil historique qui se poursuit par la révolution de 1848. Ce roman met en scène une société secrète qui s’inspire de la charbonnerie italienne, protagoniste des révolutions napolitaines. Néanmoins, le roman souligne que les sociétés ouvrières françaises apparaissent comme une organisation nouvelle, plus efficace et plus sérieuse que la charbonnerie qui les a précédées.

Surtout, cette société secrète s’inscrit dans un imaginaire romanesque. « Le traitement de l’histoire de la société secrète offert par le roman montre aussi la frontière poreuse entre fiction et réalité, et le besoin que ressent l’auteur de concilier dans son ouvrage des descriptions réalistes, porteuses de leçons pratiques, avec les attentes de lecteurs que l’on présume habitués à des représentations romanesques forcément typées », précise Vittorio Frigerio.

 

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Littérature et révolte ouvrière

 

Le livre de Vittorio Frigerio évoque différents sujets au croisement de la littérature et du mouvement ouvrier. Il évoque d’abord le regard de Proudhon sur la littérature. Cette figure de l’anarchisme porte une conception de la littérature avant tout militante, pour le meilleur et pour le pire. Proudhon développe une critique pertinente des romanciers professionnels. Ils doivent écrire pour en tirer de l’argent. Ce qui limite leur audace et leur créativité. Il esquisse une critique de la littérature industrielle et des romans formatés. En revanche, Proudhon reprend son opposition du petit artisan à l’industriel. Il valorise le petit écrivain qui s’adresse à un public restreint. Néanmoins, même l’artisan est obligé de se conformer à certaines normes commerciales pour fidéliser son public. La dimension marchande des romans reste problématique et pousse à une forme de conformisme.

Ensuite, Proudhon conserve une vision militante de la littérature. Il méprise les romans épiques de Dumas ou d’Hugo. Pour le théoricien anarchiste, la littérature doit avant tout porter ouvertement un discours et une morale politique. Cette approche évacue rapidement le plaisir de la lecture. Surtout, des romans peuvent ne pas porter un message explicite mais exprimer un regard sur le monde, notamment à partir de la vie quotidienne de la classe ouvrière. Les romans populaires peuvent également insister sur des valeurs de liberté et de solidarité face à des formes d’oppression. Sans pour autant se proclamer libertaire comme le voudrait Proudhon.

 

Vittorio Frigerio revient également sur la dimension politique des romans historiques. Il se penche sur des feuilletons qui évoquent directement un moment insurrectionnel. Par ailleurs, ces récits sont publiés dans des journaux libertaires dans le sillage de la révolution de 1848. Difficile de faire plus explicitement politique. Néanmoins, il est possible de pointer les faiblesses de cette littérature.

Une confusion peut se développer entre fiction et réalité historique. La mythologie de l’insurrection ouvrière ne correspond pas toujours à une description précise des faits. Il existe un lyrisme révolutionnaire qui n’a rien à envier à la littérature épique de Dumas et de ses mousquetaires au niveau de l’invention historique. Ensuite, cette littérature reprend les codes du roman feuilleton, aujourd’hui bien connus puisqu’ils sont les mêmes que ceux de la série. Le récit s’inscrit dans un format précis, scandé par des épisodes de la même durée et qui s’achèvent par un moment de suspens qui doit donner envie de lire la suite. Certes, ce format permet d’attiser le plaisir de la lecture et permet de donner un rythme dynamique au récit. Cependant, il peut également découper le roman et enlever des aspects qui pourraient sembler pertinents uniquement pour plaire au plus grand nombre.

Plusieurs autres codes du roman peuvent troubler le message libertaire. Les personnages féminins sont souvent stéréotypés. Les femmes semblent secondaires et ne prennent pas part aux moments héroïques. Elles se contentent bien souvent de se mettre au service des personnages principaux. Dans la même lignée, ces romans se centrent autour de personnages charismatiques, avec leurs exploits héroïques. Ce qui contribue à valoriser les chefs considérés comme des individus exceptionnels. Au contraire, la dimension collective de la révolte semble éclipsée par les exploits de quelques héros extraordinaires. Ces romans qui prétendent porter une propagande anarchiste peuvent reprendre des représentations autoritaires. Néanmoins, ces feuilletons montrent l'importance de l'imaginaire romanesque dans le désir de révolution. 

 

Source : Vittorio Frigerio, Nous nous reverrons aux barricades. Les feuilletons des journaux de Proudhon (1848-1850), Université Grenoble Alpes, 2021

 

Articles liés :

Karl Marx et les révolution du XIXe siècle

Littérature contre la Commune

Alfred Doblin et la littérature politique

 

Pour aller plus loin :

Luca Di Gregorio, Nous nous reverrons aux barricades – Entretien avec Vittorio Frigerio, publié sur le site Le Vent Se Lève le 12 décembre 2021

Isabelle‑Rachel Casta, « À quatre heures nous serons morts...» : anarchisme, romanesque & Histoire, publié dans la revue Acta fabula, vol. 22, n° 7, Août-septembre 2021

Elisa Puntarello, Note de lecture publiée dans la revue Studi Francesi 196 en 2022

Claudie Bernard, Note de lecture publiée dans la revue The French Review Volume 95 en mars 2022

Sarah Mombert, “Vittorio Frigerio, Dumas l’irrégulier”, publiée dans la revue Studi Francesi 169 en 2013

Vittorio Frigerio, Bons, belles et méchants (sans oublier les autres) : le roman populaire et ses héros, publié dans le livre Le roman populaire en 2008

Marie-Pier Tardif, Pour une histoire littéraire des femmes dans la presse anarchiste française au 19e siècle, publié sur le site Histoire Engagée le 24 octobre 2019

Publié dans #Contre culture

 
 
     
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