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23 mars 2022

LETTRE DU MOIS DE L’AGAUREPS-PROMÉTHÉE N° 157 MARS / AVRIL 2022

 

LETTRE DU MOIS DE L’AGAUREPS-PROMÉTHÉE N° 157 MARS / AVRIL 2022

 

 

Sommaire du numéro 157 : Spécial « Ecologie »

  • Edito de Xavier DUMOULIN, « Sortir des politiques mortifères » page 2
  • Texte de Sylvie ERBANI, « De Paris à Glasgow, COP 21 et COP 26 » page 4
  • Texte de Francis DASPE, « Le développement durable sera social ou ne sera pas… » page 8
  • Texte de Monique DENTAL, « Au croisement du féminisme et de l’écologie : l’éco-féminisme » page 12
  • Une fiche d’adhésion (facultative mais conseillée…) pour 2022 page 14

 

 

Sortir des politiques mortifères

Depuis l’explosion de Tchernobyl puis, quelques années plus tard, celle du glacis soviétique avec l’écroulement de l’URSS, l’Ukraine concentre plus que jamais des problèmes cruciaux pour son propre avenir et celui d’un monde qui tourneboule.

La folle géostratégie poutinienne, dans la continuité du « chauvinisme grand russe » et de sa volonté hégémonique, a pris prétexte du gel des accords de Minsk pour réengager ses forces militaires dans une opération aussi meurtrière qu’insensée dans cette république la plus riche et la plus peuplée de l’ancienne zone soviétique. Nous partageons l’émotion et l’indignation devant cette violence, sans renoncer à une recherche de solutions de désescalade à la hauteur des enjeux de la région, en dénonçant avec nos amis de Respublica la géopolitique guerrière de l’impérialisme, stade suprême du capitalisme[1] et en défendant une logique de paix prônée par ailleurs avec justesse et force argumentation par les candidats Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel.

Dans son « Histoire du monde depuis 1945 », le professeur émérite, spécialiste des questions internationales, Charles Zorgbibe, dénonce « l’hubris des élargissements successifs de l’OTAN »[2]. On trouve dans les pages de l’ouvrage précité du professeur de relations internationales les éléments sur la gestion occidentale de cette affaire. Les critiques bien connues d’Hubert Védrine et de Jean-Pierre Chevènement, rejoignaient très largement cette approche quand ils ont eux-mêmes pratiqués la diplomatie de la France avec la Russie, le premier en tant que ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Jospin, le second en tant que représentant de la Russie auprès des présidents Hollande et Macron, ce président en fin d’exercice que Chevènement entendait encore convaincre d’approfondir l’ouverture envers la Russie déjà en œuvre dans le processus de Normandie en vue de faire appliquer les accords de Minsk entre la Russie, l’Ukraine et les représentants des régions du Donbass…

Jean Elleinstein, éminent spécialiste de l’URSS et de la Russie, souligne dès 1992, dans son histoire « D’une Russie à l’autre »[3], que « la capacité de résoudre pacifiquement les litiges entre la Russie et l’Ukraine constitue la question la plus importante de la situation dans l’ex-Union soviétique et pour le monde lui-même ». Le regretté historien décrit dans son livre cette Ukraine, « riche en charbon et en fer, ses structures économiques (qui) ressemblent à celles de la France des années cinquante, sauf que plus de cinquante ans de kolkhozes et de sovkhozes ont détruit en partie les terres noires qui étaient parmi les plus riches du monde. ». Il observe qu’en « Russie comme en Ukraine, l’environnement a été massacré par une politique à courte vue et indifférente aux rapports de l’homme avec la nature. Les êtres humains ont été tués ou totalitarisés, les nations brimées et la nature abîmée. Tchernobyl est à cet égard une réalité et un symbole. ».

 

Cette correspondance entre les risques militaires et environnementaux illustre l’intrication des problèmes à l’heure d’une nouvelle alerte sur le danger du recours de la Russie à l’arme nucléaire, menace proférée cyniquement en guise d’intimidation par l’autocrate russe qui vient d’envahir la zone de Tchernobyl. Au plan mondial, les risques de désastre écologique, liés au réchauffement climatique, conjugués avec le péril de l’arme atomique questionnent les conditions de la sécurité des peuples et des nations.

Ces questions appellent des réponses équilibrées prenant par tous les bouts les problématiques de la paix et de la sécurité en donnant la priorité à la reconquête de la souveraineté des peuples. Politique et diplomatique d’abord mais aussi culturelle, alimentaire, sanitaire ou industrielle dans des coopérations internationales rendues plus que jamais nécessaires en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Dans ces contextes chargés d’enjeux vitaux il faut réactiver les instances d’Organisation des Nations Unies ou de coopération et de sécurité en Europe quand la situation appelle un changement radical dans la gouvernance du monde. Contre le redéploiement de l’OTAN sur de nouveaux territoires ou la fuite en avant dans la mondialisation néolibérale, nous devons faire preuve de capacités à arracher le monde à ses tropismes.

Que peut la France dans cette perspective d’émancipation ? D’abord, garder toute sa place au sein des instances des Nations Unies et préserver sa diplomatie et son influence dans la fidélité à ses alliances mais pour mieux réorienter l’Europe en la matière en se défiant des velléités fédéralistes voulant substituer le vote à la majorité sur les questions majeures requérant aujourd’hui un vote unanime dans les instances européennes. Ensuite, pour faire court, retrouver les marges d’actions pour la reconquête des souverainetés en dénonçant autant qu’il le faut la primauté de « la concurrence libre et non faussée » au cœur des traités européens et mettre en œuvre sur les territoires des politiques de développement soutenable coordonnées dans une planification écologique démocratique.

Dans ce sens le refus d’une écologie punitive doit concilier les défis « des fins de mois et de la fin du monde » en soutenant le pouvoir d’achat et en promouvant le cadre et le mode de vie des classes populaires. Remettre celles-ci au cœur d’un projet pour la France constitue un enjeu majeur de ces élections présidentielles. On cherchera la saine émulation dans ce sens dans une gauche républicaine, sociale, écologique, démocratique et laïque qui saura œuvrer pour le rassemblement populaire autour de ces enjeux en se défiant tout à la fois d’une républicanisme abstrait, d’un gauche identitaire et différentialiste et d’une écologie coupée des préoccupations populaires.

Xavier DUMOULIN 01 / 03 / 2022

 

 

 

De Paris à Glasgow, COP 21 et COP 26

La COP 26 s’est tenue à Glasgow, en Ecosse, du 31 octobre au 12 novembre 2021. Elle s’inscrit dans la lignée de la COP 21 de Paris de 2015, qui fait référence en raison de l’accord qui avait été signé par 191 pays. L’acronyme COP désigne conférence des parties de la convention cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques. Les COP peuvent être envisagées comme le prolongement du traité international adopté au sommet de la Terre à Rio en 1992.

Les principales études sur le climat proviennent de plusieurs sources : le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le PNUE (programme des Nations unies pour l’environnement), l’OMM (organisation météorologique mondiale) ou le GCP (Global Carbon Project).  

Mythes et réalités de la COP 21

L’objectif de la COP 21 de Paris était de contenir d’ici la fin du XXI° siècle le réchauffement climatique en dessous du seuil des 1,5° C par rapport à l’ère préindustrielle (la révolution industrielle débute en Angleterre dans la deuxième moitié du XVIII° siècle, pour prendre de l’ampleur au XIX° siècle dans ce qui sera ensuite appelé « pays industrialisés »). L’objectif alors fixé en 2015 était présenté comme ambitieux. Sa réalisation passait en effet par la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre. Dans le récit que les élites construisent dans l’optique de leur édification, la COP 21 est régulièrement présentée comme une avancée considérable dans la perspective du sauvetage de la planète. La réalité est en réalité bien différente…

En effet, la trajectoire empruntée n’incite guère à l’optimisme. C’est ainsi que le seuil de 1,5° pourrait être atteint dès 2030. Et qu’au début du prochain siècle le réchauffement climatique pourrait se chiffrer à près de 4° C. En effet, seuls 113 pays avaient rehaussé leurs objectifs par rapport à la COP 21. L’accord de Paris de la COP 21 faisait en effet obligation aux signataires de relever leurs objectifs de réduction des émissions tous les 5 ans, la première échéance étant fixée au 30 juillet 2021. Il s’agissait des CDN, ou nouvelles contributions chiffrées, qui portaient exigence aux Etats de formuler des engagements chiffrés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le gain attendu à l’horizon 2030 serait minime, de l’ordre de 12%, nettement en deçà des espérances initiales. 

 

C’est que pour atteindre l’objectif de 1,5°, il faudrait réduire les émissions de 40% en 2050. Pour limiter la hausse à 2°, il faudrait les réduire de 25% d’ici 2050. Au contraire, elles vont augmenter de 16% d’ici 2030. Les raisons des blocages des objectifs de la COP 21 sont d’une grande diversité. Sans viser à l’exhaustivité, on peut citer, entre autres, les tensions internationales, les remises en question du multilatéralisme, la pandémie, le court-termisme, les nationalismes, les électoralismes etc.

Des chiffres et des réalités

Les objectifs de la France et de l’Europe impliquaient de réduire de 55% leurs émissions d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050. La neutralité carbone signifie parvenir à l’équilibre entre les émissions et l’absorption du carbone de l’atmosphère par les sols, forêts et océans. Pour l’atteindre, les émissions de gaz à effet de serre devront être compensées. Concernant l’Arabie saoudite, le 1° exportateur de pétrole brut, l’objectif de neutralité carbone avait été fixé pour 2060. C’était la même date retenue par la Russie et la Chine.

Le classement des pays les plus pollueurs de la planète est également particulièrement instructif. La Chine se situe en tête, avec 9 825 tonnes de CO2, soit 28% du total des émissions de gaz à effet de serre, devançant les Etats-Unis avec 4 964 tonnes, l’Inde avec 2 480 tonnes, la Russie avec 1 532 tonnes et le Japon  avec 1 12 tonnes. Au-delà du top 5 et pour aller jusqu’au 10° rang, on trouve l’Allemagne (683 tonnes), l’Iran (670 tonnes), la Corée du Sud (638 tonnes), l’Indonésie (632 tonnes) et l’Arabie saoudite (579 tonnes). Le Royaume-Uni (387 tonnes) et l’Italie (325 tonnes) devancent la France qui émerge en 21° position avec 299 tonnes.

Ces chiffres et ce classement doivent être mis en perspective avec différents critères, comme la production de richesses comptabilisées par le PIB (produit intérieur brut), la population totale et la possession (ou l’absence) de ressources naturelles.

L’énergie en Europe

Le mix de l’énergie produite dans l’Union Européenne en 2019 offre un équilibre entre les trois principales sources d’énergie : 37% d’énergies renouvelables, 32% de nucléaire, 31% d’énergies carbonées. Cet équilibre n’équivaut pas forcement à un équilibre viable pour la planète.

La provenance du pétrole importé en Europe en 2019 est la suivante : Russie pour 26,9%, Irak pour 9%, Nigeria pour 7,9%, Arabie Saoudite pour 7,7%.  Concernant celle du gaz naturel importé en Europe en 2019, elle se décompose ainsi : Russie pour 41,1%, Norvège pour 16,2%, Algérie pour 7,6%, Qatar pour 5,2%.

Autre donnée utile, la part du gaz russe consommée par pays en 2019 : Pologne 80%, Autriche 65%, Allemagne et Italie 37%, France 24%.  

Il va de soi que les actualités géopolitiques sont susceptibles de modifier brutalement ces chiffres…

La Chine, les défis d’un pays émergent

Si la Chine est le plus gros pollueur de la planète, elle avait cependant déjà atteint l’objectif de réduction de son intensité carbone fixé à entre 40 et 45% pour 2020. Elle l’avait même dépassé dès 2019 avec 48%. La Chine reste néanmoins très dépendante des centrales à charbon, qui comptent pour 57,7% de la production d’électricité. Rappelons que le charbon est la principale source d’émission de gaz à effet de serre. La Chine prévoit d’augmenter de 16 à 25% la part des énergies non fossiles dans sa consommation d’ici 2025, ce qui peut être considéré comme modeste.

Le rapport de la Chine au charbon constitue un véritable défi. Près de 3 000 centrales au charbon doivent fermer dans le monde d’ici 2030 pour espérer atteindre l’objectif de 1,5°. Soit la moitié du total mondial estimé à 2 000 gigawatts (GW). La moitié des centrales au charbon sont situées en Chine. La Chine a réduit la part du charbon dans son mix énergétique de 72,4% en 2005 à 56,8% en 2020. Mais en valeur absolue, la consommation en charbon a augmenté. La Chine a promis de réduire la consommation en charbon après 2025. Elle s’est engagée à atteindre le pic des émissions avant 2030, à atteindre la neutralité carbone en 2060, à diminuer l’intensité carbone de 65% par rapport à 2005. Rappelons que l’intensité carbone correspond aux émissions de CO2 rapportées au PIB. 

G 7, G 20, pays du Sud

 

Les pays du G 20 (composé par les 7 pays les plus riches et industrialisés de la planète, auxquels on a ajouté des pays émergents parmi les plus actifs) représentent 80% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ces pays du G 20 produisent 80% du PIB et regroupent 60% de la population mondiale. En 2009, les pays riches avaient promis de porter à 100 milliards de dollars par an en 2020 l’aide aux pays du Sud, afin de les soutenir dans la difficile lutte contre le réchauffement climatique.

En 2019, seuls 80 milliards avaient été rassemblés. Le doublement de l’aide américaine depuis (11,4 milliards) ne sera pas suffisant. La France estime être dans les clous, avec 6 milliards. Il est question de passer le montant de cette aide à 200 ou 300 milliards d’ici 2025, témoignant de l’urgence. 

Le G 20 de Rome d’octobre 2021 a annoncé la fin des financements publics pour les projets de centrale à charbon à l’étranger. L’Australie est le 2° pays exportateur de charbon juste derrière l’Indonésie. Elle ne souhaite pas diminuer ces apports de devises, le premier ministre Scott Morrison étant par ailleurs climatico-sceptique.

L’impact de la pandémie de 2020

Avec la pandémie de 2020, on avait assisté à une chute des émissions de CO2 de 5,4% pour l’année 2020. Le confinement a eu plus d’impact sur la baisse des émissions (baisse de 5,4%) que les chocs pétroliers de 1973 et 1979, l’effondrement du bloc soviétique en 1991 (baisse de 3,1%) et la crise financière globale de 2008 (baisse de 1,2%).

Par contre un rebond de 4,9% était prévu en 2021 pour la quantité de carbone d’origine fossile (charbon, gaz, pétrole).

Les enjeux de la COP 26

Les enjeux de la COP 26 de Glasgow résidaient pour partie dans la fixation d’un prix du carbone qui soit suffisamment dissuasif d’émettre des gaz à effet de serre. Il s’agissait également de ne pas oublier de trouver des compensations sociales et un mécanisme d’ajustement aux frontières. C’est là l’enjeu fondamental immédiat.

Il se double de plusieurs  enjeux de long terme, et pas seulement de nature purement environnementale : alimenter la planète en nourriture et en eau, s’attaquer à la pauvreté, protéger la santé, lutter contre les migrations forcées. Il s’agissait également d’officialiser des accords ciment, automobile, transport aérien, transport maritime etc.

Il y avait aussi en tête la possibilité d’établir un plan méthane. C’est un gaz à effet de serre très puissant, le second contributeur d’origine humaine au changement climatique après le CO2. Il a un pouvoir de réchauffement plus important, mais une durée de vie plus courte. Sa quantité a augmenté de 150% depuis la période préindustrielle, notamment en raison des fuites sur les oléoducs et des activités agricoles. Il existe un engagement de réduire les émissions de méthane de 30% en 2030 par rapport à 2020.

Les conséquences d’un réchauffement climatique non maîtrisé sont nombreuses et dévastatrices. Elles s’incarnent dans l’accroissement inévitable de canicules, d’incendies, d’inondations, de famines, de déforestations, de migrations humaines massives forcées etc.

Au-delà de ces enjeux, le défi fondamental est de lutter de concert contre un climato-scepticisme persistant et un climato-fatalisme insidieux.

Les résultats COP 26

196 Etats ont finalement signé un texte visant à contenir le réchauffement planétaire à la fin de la COP 26 de Glasgow. Il s’agit d’un texte minimaliste.

Quelques points sont présentés comme positifs. Les Etats doivent relever leurs engagements de réductions des émissions plus régulièrement que prévu par l’accord de Paris de 2015. Le terme énergies fossiles est clairement mentionné dans la déclaration finale (pas celle de Paris). 152 pays représentant 90% des émissions ont rehaussé leurs engagements. 82 pays ont désormais la neutralité carbone dans leurs objectifs (13 de plus qu’avant cette COP 26). Un accord a été signé pour réduire de 30% les émissions de méthane d’ici 2030. Un autre accord l’a été pour lutter contre la déforestation à l’horizon 2030. Les prévisions de réchauffement sont passées de 4 à 2,7 puis 1,8° C. Un autre accord a été conclu visant à mettre fin aux financements publics de projets à énergies fossiles dès 2022 (qui ne comportent pas de dispositif de captage / stockage de CO2). Il s’agirait donc de la fin des financements pour le charbon déjà effectif depuis 2020, pour le pétrole en 2025 et le gaz en 2035.

 

Mais des points négatifs doivent être relevés. Le texte ne garantit pas de limiter le réchauffement à 1,5° C par rapport à l’ère préindustrielle. La trajectoire catastrophique d’un réchauffement de 2,7° est toujours d’actualité (certes en baisse par rapport aux 4°C parfois avancés). Ce réchauffement n’est pas soutenable. Concernant l’aide aux pays pauvres, les Etats les plus riches n’ont pas tenu leur promesse de 2009 de porter à 100 milliards de dollars par an aux pays les plus pauvres les moins responsables du réchauffement climatique mais parfois les plus impactés.

Les objectifs relatifs à la sortie des énergies fossiles sont décevants. Elles sont responsables de 90% des émissions de gaz à effet de serre. Des termes timorés et amoindris ont été retenus : il est évoqué une « diminution » et non plus une sortie, la « fin des subventions inefficaces » est mentionnée. La pression de la Chine et de l’Inde a été déterminante.

Le fonctionnement des marchés carbone, mis en place par l’accord de Paris, est également sujet à caution. Il existe la possibilité de compenser des émissions de gaz à effet de serre par des projets d’absorption du CO2. Tout pourrait-il se marchandise afin de se donner bonne conscience ?

Cela dénote en fait du refus d’engager la transformation des économies, qui est en réalité indispensable et représente le levier le plus efficace.

Sylvie ERBANI 15 / 01 / 2022

 

 

 

 

Le développement durable sera social ou ne sera pas…

 Il s’agit des Actes des réunions de travail de l’AGAUREPS-Prométhée des 1° mars et 27 juin 2007. Le passage retenu ci-après correspond à la deuxième partie des Actes qui ont été rédigés en janvier 2008.

II/ Une vision systémique pour des enjeux sociaux

Le développement durable doit s’inscrire dans une vision systémique, en s’efforçant de mettre en évidence autant que faire se peut les interrelations entre les différentes composantes qui interviennent d’une manière ou d’une autre. C’est souvent la condition sine qua non pour une recherche concomitante de l’efficacité et de la justice en la matière. On a ainsi pu constater que les politiques partielles ou sectorielles ont donné des résultats très souvent décevants, en tout cas en deçà des espérances initiales. Un certain nombre de questions sont forcément partie prenante dans celle du développement durable. Les choix énergétiques, les transports, le logement, l’aménagement du territoire, l’urbanisme, la fiscalité, les salaires pour ne citer que quelques exemples, voilà autant de domaines qui influent à leur façon dans la mise en place d’une politique de développement durable. Quelques exemples bien choisis peuvent le démontrer fort opportunément.

● La transversalité de la question du développement durable 

Sans pour autant tomber dans un schématisme simplificateur, une comparaison raisonnée entre le smicard banlieusard et le bourgeois du 16° arrondissement de Paris pourra s’avérer utile à notre effort de démonstration. Et permettra de démonter au passage quelques idées communément admises. Entre les deux, qui contribue le plus à la dégradation de l’environnement ? Le premier obligé de prendre quotidiennement sa voiture pour se rendre à son travail situé intra muros et pris dans les embouteillages causés aux heures de pointe par les migrations pendulaires ? Ou le second qui peut choisir d’aller à son bureau situé dans le quartier des affaires de La Défense à pied, en vélo ou en métro selon le temps qu’il fait ? Pas le moindre des doutes là-dessus : le bourgeois des beaux quartiers peut se targuer d’être le meilleur « éco-citoyen » ! A ce stade de la réflexion, on peut s’apercevoir de l’inanité du principe pollueur/payeur que certains voudraient ériger en règle absolue. Il peut par certains aspects confiner à une forme de « double peine », si ce n’est davantage. Une taxation accrue sur les carburants ou l’instauration d’un péage urbain pénaliseront immanquablement celui qui possède les moyens les plus chiches. L’iniquité sociale d’une telle mesure en vertu du principe polluer/payeur saute aux yeux.

            Il conviendrait plutôt de se pencher sur les causes d’une telle situation et agir en amont si l’on veut vraiment corriger les effets négatifs sur l’environnement, sans pour autant aggraver les inégalités sociales. Les moyens d’action sont nombreux et empêchent de sombrer dans le fatalisme qui alimente le renoncement à modifier la réalité. La dissociation entre lieu de travail et lieu d’habitat, responsable d’une telle situation, n’est nullement le fruit d’une conjonction de hasards. Cela amène à s’interroger nécessairement sur les conceptions de l’urbanisme qui tendent à prévaloir à l’heure actuelle, sur l’articulation entre transports publics et déplacements individuels, sur le niveau des salaires (c’est-à-dire sur les modalités de revalorisation du travail des salariés qui se lèvent tôt…), sur la spéculation foncière et immobilière dans le secteur du logement, en somme à la plupart des éléments d’une politique volontariste d’aménagement du territoire. Une telle vision met immanquablement en questionnement les modes de vie dominants de nos sociétés développées.

 

            La question du mode de fiscalité est ainsi très vite posée dans ces conditions. La multiplication de taxes à la consommation et d’impôts indirects qui est souvent préconisée un peu hâtivement au nom du principe pollueur/payeur ne recèle pas que des vertus. L’objectif recherché est de procéder à la responsabilisation des comportements individuels par des effets selon les cas incitatifs ou dissuasifs. Mais la fiscalité indirecte, n’étant pas assise sur les revenus des contribuables, n’est pas porteuse de justice sociale et ne vise aucunement à la redistribution des richesses. En cela réside incontestablement une lacune certaine que nous devons déplorer. Par ce biais, ce mode de fiscalité accroît sa proportion au détriment des impôts directs préoccupés par essence de redistribution des richesses et de réduction des inégalités sociales.

● Développement durable et mondialisation         

La compréhension des mécanismes intimes de la mondialisation est semblablement indispensable en permettant d’inscrire encore davantage le développement durable dans une approche systémique. Là aussi un exemple concret largement connu et abondamment repris servira de fil conducteur à la démonstration. Il s’agit des désormais célèbres crevettes, pêchées en Scandinavie, décortiquées et apprêtées au Maghreb, consommées en Europe occidentale. Les pérégrinations de ces malheureuses crevettes sont dans ces conditions bien évidemment source de dégradation de l’environnement par la consommation d’énergie induite. Une remarque identique serait tout autant valable avec d’autres produits, les crevettes n’en possédant pas l’exclusivité.

            Pour quelles raisons assiste-t-on à un tel éclatement du processus ? Principalement parce que c’est rentable. Les profits réalisés de cette manière sont supérieurs à ceux qu’engendrerait une moindre mobilité forcée de ces crevettes. La mécanique est identique à celle qui conduit aux délocalisations industrielles qui alimentent continuellement l’actualité.

            Le surcroît de rentabilité, autrement dit la plus-value, s’explique par l’action conjuguée des principaux ressorts de la mondialisation[4]. Celle-ci n’a été rendue possible que par une réduction significative du coût des transports à l’échelle internationale, essentiellement des transports maritimes qui ont évolué dans le sens du gigantisme et de la spécialisation. Les gains obtenus ont été majorés par l’abaissement constant et jamais démenti des tarifs douaniers dans une perspective libre-échangiste, ce pour quoi a été crée l’OMC (anciennement GATT[5]) et ce à quoi elle œuvre avec zèle. Si on y ajoute des différences pour le moins attractives en terme de salaires ou des législations sociales et fiscales peu contraignantes génératrices de dumping, on comprend aisément tout l’intérêt qu’il y a à ce genre de dissémination des différentes étapes de la production. On voit tout aussi aisément les leviers par lesquels on peut contribuer à œuvrer : tous mettent en cause les fondements de la mondialisation libérale. Il ne s’agirait alors pas de se contenter de l’accompagner, mais de l’infléchir profondément.

● Le développement durable dans les relations Nord/Sud        

La résolution au moins partielle de la question du développement durable passe aussi par une mise à plat des relations Nord/Sud. Les délocalisations résultent également des modifications récentes enregistrées dans la division internationale du travail. L’ancienne était plus simple et reposait sur l’échange inégal : les pays du Sud fournissaient les matières premières à des prix, fixés en règle générale par les pays du Nord, plutôt faibles et peu rémunérateurs, tandis que ces derniers pays les transformaient en produits manufacturés dont ils revendaient une partie à des cours plus favorables. La nouvelle division internationale s’est complexifiée sans remettre en cause fondamentalement la détérioration des termes de l’échange en la défaveur des pays du Sud, sauf à de rares exceptions près. Une partie des opérations de transformation à faible valeur ajoutée et à faible qualification s’effectue maintenant dans certains pays du Sud qualifiés d’émergents.

            La volonté de quelques uns de ces pays émergents d’accéder à la catégorie des pays développés, si elle est parfaitement légitime, pose indirectement des problèmes majeurs. En effet, les modèles de développement proposés, ou même imposés, le sont par les pays du Nord en fonction de leurs critères et leur histoire spécifiques. Cette imitation forcée vire très souvent à une sorte de mimétisme aux effets négatifs. Ces modèles de développement prennent rarement en compte les traditions locales. Ils peuvent se révéler souvent inadaptés et sont presque toujours coûteux en termes d’environnement. La facture est alors particulièrement lourde.

 Les contraintes inhérentes au développement durable sont parfois ressenties par les pays en voie de développement comme des privilèges pour nantis. Pour ceux-ci les problèmes écologiques peuvent apparaître comme secondaires par rapport à la question alimentaire, d’autant plus qu’ils ne bénéficient pas des mêmes moyens financiers et scientifiques pour aborder ces sujets. Les arbitrages entre soucis écologiques à moyen terme et contraintes économiques immédiates se font souvent en faveur des secondes, sans qu’on puisse valablement le reprocher aux principaux intéressés. Le mauvais exemple vient aussi des pays du Nord qui peuvent s’exonérer momentanément de manière unilatérale de certaines contraintes (à l’image des Etats-Unis) et qui opèrent à des transferts de pollution en direction du Sud en y implantant des productions ou en y transportant des déchets.

 

De cette sorte apparaît au premier plan la délicate question du co-développement. Il ne faut jamais perdre de vue que le plus grand défi qui attend la planète est celui de la pauvreté. Il surpasse tous les autres par son ampleur. Environ trois milliards d’êtres humains, soit la moitié de la population de la planète, vivent aujourd’hui avec moins de deux dollars par jour. Il faudra réussir à en nourrir encore plus en situation de grande précarité dans les décennies à venir. Aujourd’hui, on estime à plus de la moitié de l’humanité la proportion de personnes concernées directement par la sous-nutrition et la malnutrition tandis que les deux tiers des biens alimentaires sont consommés par environ un cinquième de la population mondiale. L’aide au développement des pays riches se chiffre à l’heure actuelle à 0,4% du PIB. C’est certainement insuffisant comme contribution et l’objectif d’atteindre 0,7%, soit quasiment de la doubler, ne pourra être réalisé que par une prise de conscience générale. Sans quoi les exigences du développement durable seront perçues comme infondées et insupportables par bon nombre de pays du tiers-monde, accroissant les incompréhensions et des rancœurs entre les deux hémisphères.

Francis DASPE Janvier 2008

 

 

 

Au croisement du féminisme et de l’écologie : l’éco-féminisme

Au croisement du féminisme et de l’écologie : l’éco-féminisme

 Article paru sur le site Égalité-Info le 31 juillet 2012 dans le dossier « Environnement : les enjeux des inégalités de genre ».

Quand on parle d’éco-féminisme en France, on lie deux mouvements : l’écologie politique et le féminisme qui, bien qu’ayant des racines antérieures, ont jailli dans le bouillonnement engendré par mai 1968. Pour ce mouvement, le comportement de domination et d’oppression des femmes est le même que celui qui contribue au saccage universel.

Françoise d’Eaubonne, qui fonde le courant Ecologie et féminisme, en 1978, utilise ce concept pour la première fois en France en 1974 dans son livre Le féminisme ou la mort. Ce dernier provoqua dérision et critiques, notamment celle d’avoir accolé deux concepts modernes qui n’avaient rien de commun. Au Congrès mondial sur la population de Bucarest en 1974, des femmes du Sud allèrent jusqu’à affirmer que « l’éco-féminisme est une déviation contribuant à affaiblir la lutte des classes ».

Pour Françoise d’Eaubonne, décédée en 2005, « le drame écologique découle directement de l’origine du système patriarcal », que l’on peut rapporter à deux faits qui se sont produits au début du néolithique : « L’appropriation par les hommes de l’agriculture et la découverte du processus de la paternité, deux ressources – l’agriculture et la fécondité –, qui appartenaient aux femmes ». Or, dans la période actuelle, la population mondiale croissante doit vivre de ressources qui vont en diminuant, ce qui est, pour elle, la conséquence directe des deux révolutions fondatrices du système patriarcal mis en exergue dans ses travaux.

Quant au féminisme, elle l’identifie au concept d’humanisme : « Jusqu’ici, les luttes féministes se sont bornées à démontrer le tort fait à plus de la moitié de l’humanité, le moment est venu de démontrer qu’avec le féminisme, c’est l’humanité entière qui va muer. » C’est pourquoi le féminisme, en libérant les femmes, libère l’humanité tout entière. « Il est ce qui colle le plus près à l’universalisme. Il est la base même des valeurs les plus immédiates de la vie et c’est par là que se recoupent le combat féministe et le combat écologique. »

Des actions collectives de femmes contre la dégradation de leur environnement

Pour l’écrivaine et militante féministe, il est temps d’opérer un rapprochement, voire une synthèse entre ces deux combats menés jusqu’ici séparément : celui du féminisme et celui de l’écologie planétaire.

Françoise d’Eaubonne prétend démontrer que « seule une mutation de l’humanité entière peut stopper cette dégradation » et cette mutation ne peut être l’œuvre que des féministes engagées, car pour les féministes « arracher la planète au mâle d’aujourd’hui, c’est la restituer à l’humanité de demain ». Il importe donc de mettre au banc des accusés la domination sous toutes ses formes avec tout ce qui en découle, « le phallocratisme, le sexisme, le patriarcalisme d’une part, la destruction de l’environnement, la consommation pour les profits, d’autre part ». L’éco-féminisme pour Françoise d’Eaubonne est donc bien une vision alternative de la société.

 

Les actions collectives de femmes contre la détérioration de leur environnement se sont amplifiées depuis plusieurs années à l’échelle de la planète confirmant « qu’elles sont nombreuses à partager la même colère, la même inquiétude et le même sens des responsabilités quant à la préservation des bases de la vie qu’elles soient environnementales ou sociales ». Ainsi, la pertinence écologique de la « vision féminine » du monde ne serait plus à prouver.  

Une vision universaliste du monde

Concrètement, ces mobilisations touchent à la problématique rurale et aux réformes agraires (les femmes ont un accès moindre à la propriété et au droit d’usage à long terme) ; à la non-reconnaissance des menaces qui pèsent sur la sécurité alimentaire (alors qu’elles se trouvent à tous les échelons de la filière alimentaire) ; à la santé environnementale (elles s’organisent face aux catastrophes nucléaires) ; aux enjeux urbains (liés à l’approvisionnement en eau potable et les conséquences de la pollution de l’eau) ; à l’énergie (face aux exploitations pétrolières). Autant de combats qui transcendent leurs différences nationales, culturelles ou de classes, et où l’unité des actions des mouvements de femmes et des mouvements féministes organisés en réseaux se développe notamment depuis la Conférence mondiale de Pékin sur le statut des femmes en 1995 pour s’en nourrir mutuellement et élargir les perspectives des luttes transnationales en réponse à la mondialisation patriarcale.  

La vision dite « féminine » du monde n’est pas obligatoirement une « vision féministe du monde » ; il y a différentes manières en effet d’intégrer les questions de développement durable et d’environnement. En se réclamant d’une vision universaliste du monde, les mouvements féministes français rejettent avec force la notion d’une « nature féminine ».

Ainsi, conscientes qu’un éco-féminisme fondé sur l’idée que les femmes sont plus proches que les hommes de la nature – de la Mère-nature – n’est pas une bonne réponse, les organisations féministes françaises du groupe Genre et développement soutenable ont élaboré un document en vue de la conférence mondiale Rio+20 de juin dernier. Cette dernière avait été précédée par la contribution d’ONG féministes françaises au Sommet mondial du développement durable en 2002.

Monique DENTAL

Présidente fondatrice du Collectif de pratiques et de réflexions féministes « Ruptures »

Juillet 2012

ASSOCIATION POUR LA GAUCHE REPUBLICAINE ET SOCIALE– Prométhée

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[1] Respublica du 27 février 2022 Le réseau de la gauche républicaine, laïque, écologique et sociale.

[2] Charles Zorgbibe, Une histoire du monde depuis 1945, 2017, pp 371-374 notamment. L’auteur rappelle l’enchaînement des faits depuis le 21 novembre 2013 avec le mouvement de Maïdan quand « de grandes manifestations rassemblent démocrates et libéraux pro-occidentaux, auxquels se mêlent quelques groupes néonazis » sur la place centrale de la capitale ukrainienne. « La réplique de la Russie sera double : la Crimée vote son rattachement à la Russie le 16 mars 2014 ; sur le flanc est de l’Ukraine, les deux oblasts de Donestsk et Louhansk, qui constituent le Donbass, se soulèvent et se proclament Etats fédérés de la nouvelle Russie – dans le premier cas, il s’agit d’une annexion par la Fédération de Russie, qualifiée d’illégale par les occidentaux, dans le second, d’une sécession de facto de l’Ukraine, non officiellement reconnue par Moscou. Pour les Etats occidentaux, la Crimée et le Donbass doivent réintégrer l’Ukraine ; des sanctions économiques sont imposées à la Russie, accusée d’avoir attisée, par « une action délibérée de déstabilisation », une guerre civile larvée dans le Donbass – avec pour conséquence l’effondrement du prix du pétrole, qui représente la moitié des exportations et ressources budgétaires russes, la perte par le rouble de la moitié de sa valeur et une baisse considérable du taux de croissance de la Russie ».

[3] Jean Elleinstein, D’une Russie à l’autre. Vie et mort de l’URSS, mai 1992, pp 717-718 notamment.

[4] Pour de plus amples développements sur le fonctionnement de la mondialisation, se référer aux Actes de l’AGAUREPS-Prométhée intitulés « Les ressorts de la mondialisation », par Francis DASPE, avril 2003.

[5] Le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) a été fondé en 1947 à la suite du traité de Genève signé par 23 pays, conformément au souhait exprimé lors de la conférence de Bretton Woods de juillet 1944. Doté d’un simple secrétariat général, il a été remplacé à partir de 1995 par une institution permanente conformément aux accords de Marrakech de l’année précédente, l’OMC (Organisation mondiale du Commerce).

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